Un petit qui est grand : visite au Petit domaine de Gimios dans le Minervois

Le paysage est à couper le souffle. Sous nos pieds les innombrables cailloux blancs s’entrechoquent dès que l’on arpente le champ. La vigne entre peu à peu en hibernation, quelques grappes oubliées sur les ceps taillés en gobelets ont été mises à découvert par la chute des feuilles. Elles exposent leur squelettes grillés où parfois se tiennent encore quelques grains. Pierre nous incite à les goûter : la chair est dense, le sucre se fond dans le jus d’automne. Les seuls bruits qu’on entend ici viennent des cailloux sous nos pas, d’un oiseau qui passe entre la vigne et le cañon de la Cessière, du vent qui dévale de l’Ouest. Ce paysage lunaire s’étend autour de Saint-Jean de Minervois (34), et plus précisément aux abords du petit hameau de Gimios.

Nous quittons la vigne qui donne la cuvée Rouge Fruit, empruntons une route étroite et sinueuse, puis un chemin chaotique pour aller voir la parcelle complantée de seize cépages qui donne Le Rouge de Causse. Depuis les buissons qui jouxtent la vigne, apparaît, lunaire comme les lieux, la vache de Pierre et Anne-Marie. On n’a pas retenu son nom, ânes que nous sommes, mais on n’oubliera pas son regard. Ce regard mâtiné de curiosité qu’ont les bêtes parfois quand elles veulent témoigner du monde auprès des hommes qui sont sourds. Elle nous salue et retourne se planquer dans la garrigue, puisqu’on n’a pas pensé, pour elle, apporter quelques pommes. Ici le sol s’est débarrassé des cailloux mais on devine la roche proche sous la fine couche de terre. Les ceps sont noueux, sculptés par le temps et le vent, par des histoires aussi qui remontent à loin et que le silence des lieux garde en mémoire. On ressent toujours quelque chose d’indicible, de sauvage et de serein à la fois, à se planter ainsi les jambes dans la vigne, à plonger son regard dans le paysage. Un lien direct avec nos origines peut-être.

C’est ici que Anne-Marie Lavaysse et Pierre son fils se sont installés dans les années 90. Avant, ils vivaient du côté de Saint-Pons-de-Thomières où la famille avait une ferme dont la production était certifiée Nature et Progrès (mieux que le bio bricolé pour que l’industrie puisse s’en médailler les étiquettes). La mère et le fils découvrent à Gimios quelques parcelles à vendre, une maison à arranger. Forts de leurs principes vivifiants, ils adossent un potager à la maison, alimenté par l’eau de lessive et de la vaisselle filtrée quatre fois et apportée au jardin par un système de canalisation. Idem pour les oliviers, le poulailler, les fruitiers : l’autonomie fixe le cap, la nature les règles.
La visite est comme une mise en bouche, il est temps maintenant de retourner au chai (un garage impeccablement aménagé, quelques cuves, quelques fûts et une encapsuleuse manuelle dont l’artisanale facture confère à l’objet une identité singulière).

L’hygiène ici est impeccable. Les raisins sains (les autres sont abandonnés à la vigne) sont préservés au mieux des attaques de bactéries redoutées. On goûte debout les jus que Pierre nous sert : tension, droiture, fraîcheur et fruit. L’élégance est noble, les vins vibrent de vie, suscitent l’émotion. On goûte les muscats, dont un de macération, un pétillant ; les rouges des vignes qu’on a visitées : ça se tient, le terroir est dans le verre, les cañons de la Cesse et de la Cessière disent quelque chose doucement chuchoté dans le verre de Rouge Fruit. La force tellurique électrise le Rouge de Causse où l’aramon domine ses quinze compères.
On pourrait prendre le temps d’analyser ce qu’on ressent, mais ce temps devrait se compter en siècles. Le vin n’est pas bavard comme certains qui grandes gueules débordent de promesses qu’ils ne peuvent pas tenir. Pas taiseux non plus, Le Rouge de Causse donne à sentir. Ce n’est pas un discours qu’il déploie, mais l’évocation sans cesse renouvelée d’un paysage et d’une histoire, un cheminement minéral nourri aux fruits du soleil, un voyage vertical entre une plaque tectonique et le songe des étoiles. Pas étonnant que ces vins-là aient séduit pas mal de chefs étoilés. Ils appellent à de somptueux mariages. On est revenus de Gimios avec quelques cartons des deux rouges, du muscat sec et du pétillant et la promesse qu’on se fait à soi-même de revenir et prendre auprès d’Anne-Marie une vraie leçon de vie. De vie vraie. Et de vous en faire profiter.

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